La compensation écologique : étude "biodiversité : certitude de la perte nette mais incertitude du gain net


Grands projets destructeurs :

l’esbroufe de la « compensation écologique »


Une évidence : la prise en compte de l’environnement doit être intégrée le plus tôt possible par le maître d'ouvrage, dans la conception d’un plan, programme ou d’un projet (que ce soit dans le choix du projet, de sa localisation, voire dans la réflexion sur son opportunité). 


Une récente étude intitulée "Biodiversity offsetting" soit en français "Biodiversité : certitude de la perte nette mais incertitude du gain net, réalisée par des scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle et d'AgroParisTech, révèle que les mesures de compensation obligatoires, lorsqu'un projet détruit un milieu naturel, ne permettent pas d'éviter la perte nette de la biodiversité dans 80% des cas. Cette étude scientifique a été menée sur 24 projets d'infrastructures de grande ampleur en Occitanie et dans les Hauts-de-France.

La loi demande d’atteindre zéro « perte nette » de biodiversité

« Nous faisons de l’évaluation de l’action publique », explique à Reporterre Fanny Guillet, l’une des auteurs de l’article, sociologue au Muséum spécialisée sur les politiques et acteurs de la protection de la nature. La loi Biodiversité de 2016 prévoit ainsi d’éviter d’abord les impacts sur les milieux naturels, ensuite de les réduire, puis en dernier recours de compenser les destructions. L’objectif est d’atteindre zéro « perte nette » de biodiversité. « Nous avons décidé de prendre au mot les textes et déclaration officiels », poursuit la chercheuse qui avoue qu’elle et son équipe avaient une petite idée du résultat : dans la majorité des cas, la biodiversité est perdante. « Nous voulions mesurer, objectiver la balance entre pertes et gains. »

Seuls 20 % des compensations sont réalisées sur des terres réellement dégradées, telles que des friches industrielles

Une constatation : "il est difficile d'évaluer les gains en biodiversité si l'état écologique de départ n'est pas connu, les descriptions des zones de compensation choisies sont superficielles, l'état écologique n'est pas déterminé et les actions pour y augmenter la biodiversité apparaissent hypothétiques" déplorent les chercheurs.
« Par ailleurs, soulèvent t-ils, la surface totale des sites de compensation est la somme de beaucoup de petits sites alors que les zones impactées sont plutôt des parcelles d’un seul tenant. (…) La compensation doit encourager la biodiversité, et devrait choisir de grandes zones. Au lieu de cela, elle est mise en place sur une myriade de petits sites, ce qui rend encore plus compliquée l’obtention de gains de biodiversité. »
C’est en choisissant des terres réellement dégradées,
 comme celles épuisées par une agriculture intensive, 
que les compensations sont les plus efficaces.
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Une des raisons est que les aménageurs vont au plus facile. « Ils vont chercher des terres libres, donc souvent des terres naturelles, poursuit-elle. Les exploitations agricoles intensives ne vendent pas leurs parcelles, et personne ne veut mettre l’argent nécessaire pour désartificialiser un ancien site d’usine. Cela coûterait trop cher. »

« On ne regarde que les espèces les plus emblématiques »

Une autre constatation : « la totalité des actions de compensation mises en place sur le site ne concernent qu’une seule des caractéristiques de l’écosystème. » À tout cela s’ajoute le fait que « la plupart des actions de conservation étaient centrées sur une ou quelques espèces précises ». « Sur le site du projet, on va relever en moyenne 200 ou 250 espèces et à la fin la compensation ne concernera que 5 ou 10 espèces. On ne regarde que les espèces les plus menacées et emblématiques localement ».

« La plupart des actions de conservation sont centrées
 sur une ou quelques espèces précises »
regrettent les scientifiques.

La balle est donc dans le camps des décideurs. D’autant plus que les résultats de cette étude sont en voie d’être confirmés ailleurs en France. « Nos collègues de l’agence régionale de la biodiversité en Île-de-France ont reproduit notre étude, et vont bientôt la publier : ils ont obtenu les mêmes résultats, dans les mêmes proportions », assure Fanny Guillet.


C'est quoi la compensation écologique ?

La loi du 10 juillet 1976 prévoit la protection de la nature à travers la séquence "Eviter, réduire, compenser (ERC). Concernant les milieux naturels, cette loi a été confortée par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 08 août 2016 dans laquelle la compensation écologique n’est pas une finalité mais une possibilité ultime pour parvenir à une absence de perte nette de biodiversité. Le texte prévoit que lorsque la compensation n’est pas satisfaisante, un projet ne peut être autorisé « en l’état ». La compensation écologique concerne les espèces protégées, les zones humides, les terrains défrichés.

La séquence (ERC) dépasse la seule prise en compte de la biodiversité, pour englober l'ensemble des thématiques de l'environnement (air, bruit, eau, sol, santé des populations...).
Elle vise à contrebalancer les impacts dommageables non réductibles causés à des espèces ou des écosystèmes par un projet ou un plan, de façon à maintenir la biodiversité ou l’environnement dans un état équivalent ou meilleur à celui observé avant la réalisation du projet.

Toutefois, les résultats de sa mise en œuvre ne sont pas encore visibles. Selon certains courants d’opinion, la seule solution pour atteindre cet objectif ambitieux serait tout simplement d’arrêter de détruire. Pour ses opposants, la compensation écologique serait même un droit à détruire, encourageant la multiplication des projets d’aménagement du territoire. Toutefois malgré quarante ans de non mise en œuvre de la compensation, on ne peut malheureusement pas constater que cela ait eu pour effet d’enrayer la destruction des milieux naturels.

Actuellement, les choix de société conduisent à un développement économique qui implique un aménagement du territoire et une consommation d’espaces naturels.

Il ne s’agit pas de privilégier les intérêts de la société ou de la nature en les opposant l’un à l’autre, mais d’analyser chaque projet au cas par cas en évaluant d’un côté les bénéfices engendrés pour la société et de l’autre la qualité de la biodiversité impactée afin de trouver un juste équilibre.

Nous aurions pu espérer que cette nouvelle loi entraînerait un nouvel élan pour la mise en œuvre réelle et effective de la compensation écologique en France afin de mieux concilier développement économique et préservation de la biodiversité. Cette étude vient de confirmer que c'est loin d'être le cas.